Tout le monde sait que les vins de Bordeaux ont été classés au cours du XIXème siècle mais notre connaissance s’arrête souvent là. Pourquoi ce classement, comment a-t-il été fait, par qui et qui était concerné ? sont souvent des questions auxquelles nous n’avons pas vraiment la réponse.
Cet article présente donc plus en détail ce qu’a été ce fameux classement des grands vins de Bordeaux et comment les plus grands crus rouges ont été classés. Il s’inscrit dans la grande Histoire et les domaines concernés ne doivent rien au hasard.
Des classements antérieurs et officieux
Commençons par rappeler que les vins de Bordeaux ont été classés bien avant la classification officielle des grands crus. Ainsi, le troisième président des Etats-Unis, Thomas Jefferson, grand amateur des fameux vins rouges de Bordeaux établit son propre classement au cours du millésime 1787. La vigne et les vignobles français sont déjà particulièrement reconnus internationalement. Le vin s’exporte largement en Europe (Royaume Uni et Hollande en particulier) et aux Etats-Unis. C’est en 1855 qu’apparaît une occasion rêvée pour réaliser enfin ce fameux classement.
L’influence de l’exposition universelle
En effet, Napoléon III, empereur français, organise cette année-là une exposition universelle. Il faut donc sélectionner les meilleurs produits qui seront exposés et proposés à la dégustation. Pour cela, il apparaît à Lodi-Martin Duffour-Dubergier qu’il faut un classement des vins de Bordeaux. Ce dernier est alors président de la Chambre de Commerce de Bordeaux. Négociant en vin, il possède par ailleurs les châteaux Smith Haut Lafitte et Gironville.
C’est ainsi que le 6 avril 1855, la Chambre de Commerce de Bordeaux demande officiellement au syndicat des courtiers bordelais de réaliser ce classement en y insérant les crus classés en rouge et les grands vins blancs.
Le syndicat des courtiers bordelais
Il existe alors déjà des crus classés à Bordeaux, dans le Médoc. Ils le sont alors en fonction du prix et on retrouve déjà 5 niveaux. Le syndicat des courtiers bordelais réunit alors ces grands vins et réalise le classement. Il n’est donc pas du tout établi en fonction de la qualité en dégustation du vin mais en fonction du prix des bouteilles. Les courtiers estiment alors que les prix les plus élevés sont justifiés par une qualité supérieure.
Les domaines sont alors classés en premiers, deuxièmes, troisièmes, quatrièmes et cinquièmes grands crus pour les vins rouges. Seuls les vins du Médoc sont sélectionnés. En effet, il existe à l’époque une Chambre de Commerce de Libourne et des courtiers libournais. Les vins de la rive droite sont alors commercialisés à Libourne. Les courtiers bordelais ne peuvent donc insérer dans leur classement que les vins de la rive gauche. On note une exception, le Château Haut-Brion, appartenant aux Graves.
Pour les vins blancs, les courtiers choisissent les liquoreux de Sauternes et Barsac. Ils sont classés selon deux catégories : les premiers et les seconds crus classés, même si le plus fameux, le Château d’Yquem, est classé premier cru supérieur.
Un classement inamovible à une exception près
En avril 1855, le classement totalise 57 châteaux pour les rouges et 21 pour les blancs. On retrouve 4 premiers crus, 12 deuxièmes crus, 14 troisièmes crus, 11 quatrièmes crus et 16 cinquièmes crus pour les vins rouges. Les liquoreux se répartissent en 1 premier cru supérieur, 9 premiers crus et 11 deuxièmes crus.
Ce classement évoluera peu. Le premier changement date de septembre 1855 puisque Cantemerle est alors rajouté aux cinquièmes crus. Au cours du millésime 1973, le Château Mouton Rothschild passe de deuxième cru à premier cru sur décision du ministre de l’Agriculture, Jacques Chirac.
Les quelques autres changement sont dus à la disparition de certains châteaux dont les vignes sont rachetées par des voisins eux-mêmes membres du classement ou par la séparation d’un domaine en deux voire trois. Ainsi, Léoville donne naissance aux châteaux Léoville Las Cases, Léoville Barton et Léoville Poyferré. De même, Pichon Longueville devient Pichon Comtesse et Pichon Baron, le château Boyd se transforme en Boyd-Cantenac et Cantenac-Brown. Enfin, Batailley est séparé en deux pour donner Haut-Batailley.
Concernant les blancs, il s’agit également de propriétés viticoles qui en intègrent d’autres ou qui sont scindées en deux. C’est par exemple le cas du Château Peyraguey qui devient Clos Haut-Peyraguey et Château Lafaurie-Peyraguey. Ou encore Rabaud qui donne Rabaud-Promis et Sigalas Rabaud.
Quelle valeur aujourd’hui ?
Même si ce classement n’a pas vocation à être mis à jour comme celui de Saint-Emilion, il demeure encore aujourd’hui largement pertinent. Certains châteaux gagneraient sûrement des niveaux s’il était refait en 2021 mais ceux qui y figurent le méritent. Pour contourner le fait qu’il est impossible de le modifier, un autre classement a été élaboré : celui des crus bourgeois. Il permet de mettre en avant d’autres vins de la rive gauche qui n’ont pas pu être classés çà l’époque. On retrouve par exemple Cambon La Pelouse ou encore Fourcas Hosten.
Aujourd’hui, les premiers grands crus classés que sont Latour, Haut-Brion, Lafite Rothschild, Mouton Rothschild, Margaux ou encore Yquem sont les vins les plus reconnus mondialement.
Ce classement établi voici plus de 150 ans n’en demeure pas moins, encore aujourd’hui, une référence particulièrement importante du monde vinicole. Couplé à l’organisation particulière de la Place de Bordeaux, il est un argument majeur de la commercialisation et de la reconnaissance des vins de la rive gauche de Bordeaux.